Cours de structures algébriques : groupes, anneaux et corps

En mathématiques, les structures algébriques représentent un pilier fondamental de l’algèbre abstraite. Elles permettent d’organiser et d’étudier les ensembles munis d’opérations qui satisfont certains axiomes. Que vous soyez en terminale spécialité mathématiques, en classes préparatoires ou à l’université, comprendre ces structures est essentiel pour progresser en algèbre, en géométrie et même en analyse. Ce cours vous propose une approche complète et progressive, enrichie d’exemples concrets et d’exercices corrigés pour maîtriser les groupes, anneaux, corps et autres structures fondamentales.

Définition générale d’une structure algébrique

Une structure algébrique est définie axiomatiquement comme un ensemble non vide muni d’une ou plusieurs lois de composition (internes ou externes) satisfaisant certaines propriétés appelées axiomes.

\[ (E, \star) \text{ où } \star : E \times E \to E \]

L’ensemble \( E \) contient les éléments de la structure, et la loi \( \star \) permet de combiner deux éléments pour en obtenir un troisième au sein du même ensemble.

Loi de composition interne

Une loi de composition interne (LCI) sur un ensemble \( E \) est une application qui associe à chaque couple d’éléments de \( E \) un élément de \( E \). Formellement :

\[ \star : E \times E \to E, \quad (x, y) \mapsto x \star y \]

Exemples fondamentaux :

  • L’addition dans \( \mathbb{Z} \) : \( + : \mathbb{Z} \times \mathbb{Z} \to \mathbb{Z} \)
  • La multiplication dans \( \mathbb{R} \) : \( \times : \mathbb{R} \times \mathbb{R} \to \mathbb{R} \)
  • La composition des applications dans \( \mathcal{F}(E, E) \)

Contre-exemple : La soustraction n’est pas une LCI dans \( \mathbb{N} \) car \( 3 – 5 = -2 \notin \mathbb{N} \).

Loi de composition externe

Une loi de composition externe (LCE) fait intervenir deux ensembles distincts. Elle combine un élément d’un ensemble d’opérateurs (ou scalaires) avec un élément d’un autre ensemble pour produire un résultat dans ce dernier :

\[ \cdot : K \times E \to E, \quad (\lambda, x) \mapsto \lambda \cdot x \]

Exemple classique : La multiplication d’un vecteur par un scalaire dans un espace vectoriel : si \( \vec{v} \in \mathbb{R}^3 \) et \( \lambda \in \mathbb{R} \), alors \( \lambda \cdot \vec{v} \in \mathbb{R}^3 \).

Propriétés fondamentales des lois de composition

Associativité

Une loi \( \star \) est associative si pour tous éléments \( x, y, z \in E \) :

\[ (x \star y) \star z = x \star (y \star z) \]

Cette propriété permet de calculer des compositions sans se soucier du placement des parenthèses. L’addition et la multiplication sont associatives, mais la soustraction ne l’est pas : \( (5 – 3) – 2 = 0 \neq 5 – (3 – 2) = 4 \).

Commutativité

Une loi \( \star \) est commutative si pour tous éléments \( x, y \in E \) :

\[ x \star y = y \star x \]

L’addition de nombres est commutative, mais la composition des fonctions ne l’est généralement pas.

Élément neutre

Un élément \( e \in E \) est appelé élément neutre pour la loi \( \star \) si pour tout \( x \in E \) :

\[ e \star x = x \star e = x \]

Exemples : 0 pour l’addition, 1 pour la multiplication, la matrice identité pour le produit matriciel.

Élément symétrique (ou inverse)

Si \( E \) possède un élément neutre \( e \), un élément \( x \in E \) est dit symétrisable s’il existe \( x’ \in E \) tel que :

\[ x \star x’ = x’ \star x = e \]

On note généralement \( -x \) l’opposé (pour l’addition) et \( x^{-1} \) l’inverse (pour la multiplication).

Distributivité

Lorsqu’un ensemble possède deux lois \( + \) et \( \times \), on dit que \( \times \) est distributive sur \( + \) si :

\[ x \times (y + z) = (x \times y) + (x \times z) \]

Les structures algébriques fondamentales

Magma (ou Groupoïde)

Un magma est la structure la plus simple : un ensemble \( E \) muni d’une seule loi de composition interne, sans aucune contrainte supplémentaire.

\[ (E, \star) \text{ est un magma} \]

Monoïde

Un monoïde est un magma dont la loi est associative et possède un élément neutre :

  • La loi \( \star \) est associative
  • Il existe un élément neutre \( e \in E \)

Exemple : \( (\mathbb{N}, +, 0) \) est un monoïde commutatif.

Groupe : structure de base

Un groupe est un monoïde où chaque élément possède un symétrique. C’est une des structures les plus importantes en mathématiques.

Définition : Un ensemble \( G \) muni d’une loi \( \star \) forme un groupe \( (G, \star) \) si :

  1. Associativité : \( \forall x, y, z \in G, \; (x \star y) \star z = x \star (y \star z) \)
  2. Élément neutre : \( \exists e \in G, \; \forall x \in G, \; e \star x = x \star e = x \)
  3. Élément symétrique : \( \forall x \in G, \; \exists x’ \in G, \; x \star x’ = x’ \star x = e \)

Si de plus la loi est commutative, on dit que le groupe est abélien (ou commutatif).

\[ \forall x, y \in G, \; x \star y = y \star x \]

Exemples classiques de groupes :

  • \( (\mathbb{Z}, +) \) : groupe abélien des entiers pour l’addition
  • \( (\mathbb{R}^*, \times) \) : groupe multiplicatif des réels non nuls
  • \( (\mathcal{S}_n, \circ) \) : groupe symétrique des permutations de \( n \) éléments (non abélien pour \( n \geq 3 \))
  • \( (\mathbb{U}, \times) \) : groupe des nombres complexes de module 1

Anneau : deux opérations liées

Un anneau est une structure plus riche qu’un groupe car elle possède deux lois de composition interne reliées par la distributivité.

Définition : Un ensemble \( A \) muni de deux lois \( + \) et \( \times \) forme un anneau \( (A, +, \times) \) si :

  1. \( (A, +) \) est un groupe abélien (d’élément neutre noté 0)
  2. \( (A, \times) \) est un monoïde (associativité + élément neutre 1)
  3. La loi \( \times \) est distributive sur \( + \) (à gauche et à droite)

Si la multiplication est commutative, on parle d’anneau commutatif.

Exemples d’anneaux :

  • \( (\mathbb{Z}, +, \times) \) : anneau des entiers relatifs (commutatif)
  • \( (\mathbb{R}[X], +, \times) \) : anneau des polynômes à coefficients réels
  • \( (\mathcal{M}_n(\mathbb{R}), +, \times) \) : anneau des matrices carrées (non commutatif pour \( n \geq 2 \))

Anneau intègre

Un anneau commutatif non nul est dit intègre s’il ne contient aucun diviseur de zéro :

\[ \forall a, b \in A, \; ab = 0 \Rightarrow (a = 0 \text{ ou } b = 0) \]

Exemple : \( \mathbb{Z} \) est intègre, mais \( \mathbb{Z}/6\mathbb{Z} \) ne l’est pas car \( 2 \times 3 = 0 \) dans cet anneau.

Corps : la structure complète

Un corps est un anneau commutatif où tout élément non nul est inversible pour la multiplication.

Définition : Un ensemble \( K \) muni de deux lois \( + \) et \( \times \) forme un corps \( (K, +, \times) \) si :

  1. \( (K, +, \times) \) est un anneau commutatif
  2. \( 0 \neq 1 \) (le corps n’est pas trivial)
  3. \( (K^*, \times) \) est un groupe (tout élément non nul a un inverse multiplicatif)

Exemples de corps :

  • \( (\mathbb{Q}, +, \times) \) : corps des nombres rationnels
  • \( (\mathbb{R}, +, \times) \) : corps des nombres réels
  • \( (\mathbb{C}, +, \times) \) : corps des nombres complexes
  • \( (\mathbb{Z}/p\mathbb{Z}, +, \times) \) : corps fini lorsque \( p \) est premier

⚠ Erreur fréquente : Dans un corps, l’élément zéro n’a jamais d’inverse multiplicatif. On ne peut diviser que par des éléments non nuls !

Comparaison : groupe, anneau et corps

Pour bien comprendre la différence entre ces structures, voici un tableau comparatif :

StructureNombre de loisAxiomes principauxExemple
Groupe1 loi interneAssociativité, neutre, symétrique\( (\mathbb{Z}, +) \)
Anneau2 lois internesGroupe abélien + monoïde + distributivité\( (\mathbb{Z}, +, \times) \)
Corps2 lois internesAnneau + tout élément non nul inversible\( (\mathbb{Q}, +, \times) \)

Relation hiérarchique : Tout corps est un anneau intègre, tout anneau intègre est un anneau, et tout anneau contient au moins un groupe (pour l’addition).

Sous-structures et morphismes

Sous-groupe

Une partie \( H \) d’un groupe \( (G, \star) \) est un sous-groupe si elle est stable par la loi et forme elle-même un groupe.

Caractérisation pratique : \( H \) est un sous-groupe de \( G \) si et seulement si :

  1. \( H \neq \emptyset \) (ou \( e \in H \))
  2. \( \forall x, y \in H, \; x \star y^{-1} \in H \)

Exemple : \( 3\mathbb{Z} = \{…, -6, -3, 0, 3, 6, …\} \) est un sous-groupe de \( (\mathbb{Z}, +) \).

Morphisme de groupes

Soient \( (G, \star) \) et \( (H, \diamond) \) deux groupes. Une application \( f : G \to H \) est un morphisme de groupes si elle préserve la structure :

\[ \forall x, y \in G, \; f(x \star y) = f(x) \diamond f(y) \]

Si \( f \) est bijective, on parle d’isomorphisme, et les deux groupes ont la même structure.

Propriétés importantes :

  • \( f(e_G) = e_H \) : l’image du neutre est le neutre
  • \( f(x^{-1}) = f(x)^{-1} \) : l’image de l’inverse est l’inverse de l’image
  • Le noyau \( \ker(f) = \{x \in G \mid f(x) = e_H\} \) est un sous-groupe de \( G \)

Structures algébriques avec loi externe

Module sur un anneau

Un module sur un anneau \( A \) est un groupe abélien \( (M, +) \) muni d’une loi externe \( \cdot : A \times M \to M \) satisfaisant des axiomes de compatibilité similaires à ceux des espaces vectoriels.

Espace vectoriel sur un corps

Un espace vectoriel est un cas particulier de module où l’ensemble des scalaires est un corps \( K \). C’est la structure fondamentale de l’algèbre linéaire.

Définition : Un \( K \)-espace vectoriel est un ensemble \( E \) muni de deux lois :

  • Une loi interne \( + : E \times E \to E \) qui fait de \( (E, +) \) un groupe abélien
  • Une loi externe \( \cdot : K \times E \to E \) vérifiant quatre axiomes de compatibilité

Exemples : \( \mathbb{R}^n \), \( \mathbb{C} \) vu comme \( \mathbb{R} \)-espace vectoriel, l’espace des polynômes \( K[X] \), l’espace des matrices \( \mathcal{M}_{n,p}(K) \).

Algèbre sur un corps

Une algèbre sur un corps \( K \) est un espace vectoriel muni en plus d’une loi de multiplication interne bilinéaire. Formellement, \( (A, +, \times, \cdot) \) est une \( K \)-algèbre si :

  • \( (A, +, \cdot) \) est un \( K \)-espace vectoriel
  • \( (A, +, \times) \) est un anneau
  • \( \forall \lambda \in K, \; \forall x, y \in A, \; \lambda \cdot (x \times y) = (\lambda \cdot x) \times y = x \times (\lambda \cdot y) \)

Exemples : \( \mathbb{R}[X] \) (algèbre commutative), \( \mathcal{M}_n(\mathbb{R}) \) (algèbre non commutative).

Exercices Corrigés sur les structures algébriques

Exercice 1 : Vérifier qu’un ensemble est un groupe

Énoncé : On définit sur \( \mathbb{R}^* \times \mathbb{R} \) la loi \( \star \) par :

\[ (x, y) \star (x’, y’) = (xx’, xy’ + y) \]

Montrer que \( (\mathbb{R}^* \times \mathbb{R}, \star) \) est un groupe. Est-il commutatif ?

Solution :

1. La loi est-elle interne ?

Si \( (x, y), (x’, y’) \in \mathbb{R}^* \times \mathbb{R} \), alors \( xx’ \in \mathbb{R}^* \) (produit de réels non nuls) et \( xy’ + y \in \mathbb{R} \). Donc \( (x, y) \star (x’, y’) \in \mathbb{R}^* \times \mathbb{R} \). La loi est bien interne.

2. Associativité :

Soient \( (x, y), (x’, y’), (x^{\prime\prime}, y^{\prime\prime}) \in \mathbb{R}^* \times \mathbb{R} \). Calculons :

\begin{align*}
[(x, y) \star (x^{\prime}, y^{\prime})] \star (x^{\prime\prime}, y^{\prime\prime})
&= (x x^{\prime}, x y^{\prime} + y) \star (x^{\prime\prime}, y^{\prime\prime}) \\
&= (x x^{\prime} x^{\prime\prime}, (x x^{\prime}) y^{\prime\prime} + (x y^{\prime} + y)) \\
&= (x x^{\prime} x^{\prime\prime}, x x^{\prime} y^{\prime\prime} + x y^{\prime} + y)
\end{align*}
\begin{align*}
(x, y) \star [(x^{\prime}, y^{\prime}) \star (x^{\prime\prime}, y^{\prime\prime})]
&= (x, y) \star (x^{\prime} x^{\prime\prime}, x^{\prime} y^{\prime\prime} + y^{\prime}) \\
&= (x x^{\prime} x^{\prime\prime}, x(x^{\prime} y^{\prime\prime} + y^{\prime}) + y) \\
&= (x x^{\prime} x^{\prime\prime}, x x^{\prime} y^{\prime\prime} + x y^{\prime} + y)
\end{align*}

Attendu que l’on obtient bien le même résultat des deux côtés (en utilisant la distributivité dans \( \mathbb{R} \)), la loi est associative.

3. Élément neutre :

Cherchons \( (e_1, e_2) \) tel que pour tout \( (x, y) \) :

\[ (x, y) \star (e_1, e_2) = (xe_1, xe_2 + y) = (x, y) \]

Cela impose \( e_1 = 1 \) et \( e_2 = 0 \). On vérifie : \( (1, 0) \star (x, y) = (x, y) \). L’élément neutre est \( e = (1, 0) \).

4. Élément symétrique :

Pour \( (x, y) \), cherchons \( (x’, y’) \) tel que :

\[ (x, y) \star (x’, y’) = (1, 0) \]
\[ (xx’, xy’ + y) = (1, 0) \]

On en déduit : \( x’ = \frac{1}{x} \) et \( y’ = -\frac{y}{x} \). L’inverse de \( (x, y) \) est \( \left(\frac{1}{x}, -\frac{y}{x}\right) \).

Conclusion : \( (\mathbb{R}^* \times \mathbb{R}, \star) \) est un groupe.

Est-il commutatif ? Non ! Vérifions avec \( (2, 1) \) et \( (3, 0) \) :

\begin{align*}
(2, 1) \star (3, 0) &= (6, 0) \\
(3, 0) \star (2, 1) &= (6, 3)
\end{align*}

Comme \( (6, 0) \neq (6, 3) \), le groupe n’est pas commutatif.

Exercice 2 : Sous-groupe des multiples

Énoncé : Montrer que \( 5\mathbb{Z} = \{5k \mid k \in \mathbb{Z}\} \) est un sous-groupe de \( (\mathbb{Z}, +) \).

Solution :

Utilisons la caractérisation pratique : \( H \) est un sous-groupe si \( H \neq \emptyset \) et \( \forall x, y \in H, \; x – y \in H \).

1. Non-vacuité : \( 0 = 5 \times 0 \in 5\mathbb{Z} \), donc \( 5\mathbb{Z} \neq \emptyset \).

2. Stabilité par différence : Soient \( x, y \in 5\mathbb{Z} \). Il existe \( k, \ell \in \mathbb{Z} \) tels que \( x = 5k \) et \( y = 5\ell \). Alors :

\[ x – y = 5k – 5\ell = 5(k – \ell) \in 5\mathbb{Z} \]

Conclusion : \( 5\mathbb{Z} \) est un sous-groupe de \( (\mathbb{Z}, +) \).

Exercice 3 : Ordre d’un élément dans un groupe

Énoncé : Dans le groupe multiplicatif \( (\mathbb{C}^*, \times) \), déterminer l’ordre de \( i \) (l’unité imaginaire).

Solution :

L’ordre d’un élément \( x \) dans un groupe est le plus petit entier \( n > 0 \) tel que \( x^n = e \) (élément neutre).

Calculons les puissances successives de \( i \) :

\begin{align*}
i^1 &= i \\
i^2 &= -1 \\
i^3 &= -i \\
i^4 &= 1
\end{align*}

Puisque \( i^4 = 1 \) et que c’est la première puissance positive qui donne 1, l’ordre de \( i \) est 4.

Remarque : Les éléments \( i, -1, -i, 1 \) forment un sous-groupe cyclique d’ordre 4 dans \( \mathbb{C}^* \).

Conclusion et résumé

Les structures algébriques fournissent un cadre unifié pour étudier des ensembles
munis de lois de composition satisfaisant des axiomes précis.
Elles constituent un outil fondamental de l’algèbre abstraite et de nombreuses branches des mathématiques.

Points essentiels à retenir

  • Une structure algébrique est un ensemble muni d’une ou plusieurs lois de composition.
  • Une loi de composition interne associe deux éléments d’un même ensemble à un élément de cet ensemble.
  • Les propriétés fondamentales sont : associativité, commutativité, élément neutre et élément symétrique.
  • Un groupe est un monoïde dans lequel tout élément est inversible.
  • Un anneau possède deux lois internes reliées par la distributivité.
  • Un corps est un anneau commutatif où tout élément non nul est inversible.
  • Les sous-structures et les morphismes permettent de comparer et relier les structures.
  • Les espaces vectoriels, modules et algèbres étendent ces notions à des lois externes.

La maîtrise de ces concepts est indispensable pour aborder sereinement l’algèbre linéaire,
la théorie des groupes, la théorie des anneaux et l’algèbre abstraite moderne.

Partager