Intégrales Généralisées : Cours et 7 Méthodes de Convergence

Les intégrales généralisées constituent une extension fondamentale du calcul intégral classique. Alors que l’intégrale de Riemann est définie pour des fonctions continues sur un segment fermé borné, les intégrales impropres permettent d’intégrer des fonctions sur des intervalles non bornés ou présentant des discontinuités. Cette généralisation s’avère indispensable en physique, en probabilités et dans de nombreuses branches des mathématiques appliquées.

Dans ce cours approfondi, nous explorerons les conditions de convergence des intégrales généralisées, les critères de Riemann qui constituent nos outils de référence, ainsi que les théorèmes de comparaison qui nous permettront d’étudier efficacement la nature d’une intégrale. Vous découvrirez également comment utiliser la convergence absolue et les techniques d’intégration par parties adaptées à ce cadre.

Définitions fondamentales des intégrales généralisées

Qu’est-ce qu’une intégrale généralisée ?

Une intégrale généralisée, également appelée intégrale impropre, est une intégrale dont au moins une borne est infinie ou dont la fonction présente une discontinuité aux bornes d’intégration. Le calcul de telles intégrales repose sur un passage à la limite.

Soit \( f : [a, b[ \to \mathbb{R} \) une fonction continue par morceaux avec \( a, b \in \mathbb{R} \cup \{+\infty\} \). On dit que l’intégrale \( \int_a^b f(t) \, \mathrm{d}t \) converge si la limite suivante existe et est finie : \[ \int_a^b f(t) \, \mathrm{d}t = \lim_{x \to b^-} \int_a^x f(t) \, \mathrm{d}t \]

Lorsque cette limite existe et est finie, on note sa valeur \( \int_a^b f(t) \, \mathrm{d}t \). Dans le cas contraire, on dit que l’intégrale diverge.

Cas d’une intégrale sur un intervalle infini

Pour une fonction définie sur un intervalle non borné du type \( [a, +\infty[ \), la définition devient :

\[ \int_a^{+\infty} f(t) \, \mathrm{d}t = \lim_{A \to +\infty} \int_a^A f(t) \, \mathrm{d}t \]

Cette définition capture l’idée que nous intégrons sur des segments de plus en plus grands et observons si le résultat se stabilise vers une valeur finie.

Cas d’une intégrale avec deux impropriétés

Lorsqu’une fonction présente des problèmes aux deux bornes, par exemple sur \( ]a, b[ \) avec \( a, b \in \mathbb{R} \cup \{\pm\infty\} \), il faut décomposer l’intégrale en choisissant un point intermédiaire \( c \in ]a, b[ \) :

\[ \int_a^b f(t) \, \mathrm{d}t = \lim_{x \to a^+} \int_x^c f(t) \, \mathrm{d}t + \lim_{y \to b^-} \int_c^y f(t) \, \mathrm{d}t \]

L’intégrale converge si et seulement si les deux limites existent et sont finies. Ce résultat est indépendant du choix de \( c \).

Intégrales de référence : les critères de Riemann

Les intégrales de Riemann constituent nos intégrales de référence fondamentales. Elles concernent les fonctions puissances et permettent, par comparaison, d’étudier la nature de nombreuses intégrales généralisées.

Intégrales de Riemann au voisinage de l’infini

Théorème : Soit \( \alpha \in \mathbb{R} \) et \( a > 0 \). L’intégrale \[ \int_a^{+\infty} \frac{\mathrm{d}t}{t^\alpha} \]

converge si et seulement si \( \alpha > 1 \).

Démonstration : Calculons la primitive pour \( \alpha \neq 1 \) :

\[ \int_a^A \frac{\mathrm{d}t}{t^\alpha} = \left[ \frac{t^{1-\alpha}}{1-\alpha} \right]_a^A = \frac{1}{1-\alpha} \left( A^{1-\alpha} – a^{1-\alpha} \right) \]

Lorsque \( A \to +\infty \) :

  • Si \( \alpha > 1 \), alors \( 1 – \alpha < 0 \), donc \( A^{1-\alpha} \to 0 \) : l’intégrale converge vers \( \frac{a^{1-\alpha}}{\alpha – 1} \).
  • Si \( \alpha < 1 \), alors \( 1 – \alpha > 0 \), donc \( A^{1-\alpha} \to +\infty \) : l’intégrale diverge.
  • Si \( \alpha = 1 \), alors \( \int_a^A \frac{\mathrm{d}t}{t} = \ln A – \ln a \to +\infty \) : l’intégrale diverge.

Intégrales de Riemann au voisinage de zéro

Théorème : Soit \( \alpha \in \mathbb{R} \) et \( b > 0 \). L’intégrale \[ \int_0^b \frac{\mathrm{d}t}{t^\alpha} \]

converge si et seulement si \( \alpha < 1 \).

Attention : Les conditions de convergence en zéro et à l’infini sont opposées ! La fonction \( t \mapsto \frac{1}{t} \) est un cas limite qui diverge aussi bien en zéro qu’à l’infini. L’intégrale \( \int_0^{+\infty} \frac{\mathrm{d}t}{t^\alpha} \) n’est jamais convergente, quelle que soit la valeur de \( \alpha \).

Intégrales de Bertrand

Une généralisation importante des intégrales de Riemann concerne les intégrales de Bertrand, qui font intervenir des puissances logarithmiques :

\[ \int_2^{+\infty} \frac{\mathrm{d}t}{t (\ln t)^\beta} \]

converge si et seulement si \( \beta > 1 \).

Cette famille d’intégrales illustre la subtilité des comportements logarithmiques à l’infini.

Théorèmes de comparaison pour les fonctions positives

Les théorèmes de comparaison constituent les outils principaux pour étudier la convergence des intégrales généralisées lorsqu’on ne peut pas calculer explicitement une primitive.

Théorème de comparaison par majoration

Théorème : Soient \( f, g : [a, b[ \to \mathbb{R} \) deux fonctions continues par morceaux telles que \( 0 \leq f(t) \leq g(t) \) au voisinage de \( b \).

  • Si \( \int_a^b g(t) \, \mathrm{d}t \) converge, alors \( \int_a^b f(t) \, \mathrm{d}t \) converge.
  • Si \( \int_a^b f(t) \, \mathrm{d}t \) diverge, alors \( \int_a^b g(t) \, \mathrm{d}t \) diverge.

Ce théorème repose sur le principe simple : une fonction plus petite qu’une fonction intégrable est elle-même intégrable.

Théorème d’équivalence

Théorème : Soient \( f, g : [a, b[ \to \mathbb{R} \) deux fonctions continues par morceaux à valeurs positives telles que \( f(t) \sim_b g(t) \). Alors les intégrales \( \int_a^b f(t) \, \mathrm{d}t \) et \( \int_a^b g(t) \, \mathrm{d}t \) sont de même nature.

Ce résultat est particulièrement puissant car il permet de remplacer une fonction compliquée par un équivalent simple dont on connaît la nature de l’intégrale.

Application des critères de Riemann

En combinant les équivalents avec les intégrales de Riemann, on obtient des critères pratiques :

Au voisinage de \( +\infty \) :

  • Si \( \exists \alpha > 1 \) tel que \( \lim_{t \to +\infty} t^\alpha f(t) = 0 \), alors \( \int_a^{+\infty} f(t) \, \mathrm{d}t \) converge.
  • Si \( \exists c > 0 \) tel que \( \lim_{t \to +\infty} t f(t) \geq c \), alors \( \int_a^{+\infty} f(t) \, \mathrm{d}t \) diverge.

Au voisinage de \( 0 \) :

  • Si \( \exists \alpha < 1 \) tel que \( \lim_{t \to 0^+} t^\alpha f(t) = 0 \), alors \( \int_0^b f(t) \, \mathrm{d}t \) converge.
  • Si \( \exists c > 0 \) tel que \( \lim_{t \to 0^+} t f(t) \geq c \), alors \( \int_0^b f(t) \, \mathrm{d}t \) diverge.

Convergence absolue et fonctions intégrables

Définition de la convergence absolue

Lorsqu’une fonction change de signe, les critères précédents ne s’appliquent plus directement. On introduit alors la notion de convergence absolue.

Définition : Soit \( f : I \to \mathbb{R} \) une fonction continue par morceaux sur un intervalle \( I \). On dit que \( f \) est intégrable sur \( I \) si l’intégrale de sa valeur absolue converge : \[ \int_I |f(t)| \, \mathrm{d}t < +\infty \]

Théorème fondamental

Théorème : Si \( f \) est intégrable sur \( I \), alors \( \int_I f(t) \, \mathrm{d}t \) converge (convergence absolue) et \[ \left| \int_I f(t) \, \mathrm{d}t \right| \leq \int_I |f(t)| \, \mathrm{d}t \]

La réciproque est fausse : il existe des intégrales convergentes mais non absolument convergentes, dites semi-convergentes.

Exemple classique : l’intégrale de Dirichlet

L’intégrale suivante est un exemple célèbre d’intégrale semi-convergente :

\[ \int_0^{+\infty} \frac{\sin t}{t} \, \mathrm{d}t \]

Cette intégrale converge (on peut le montrer par intégration par parties), mais elle n’est pas absolument convergente car \( \int_0^{+\infty} \frac{|\sin t|}{t} \, \mathrm{d}t = +\infty \).

Techniques de calcul : intégration par parties et changement de variable

Intégration par parties généralisée

L’intégration par parties se généralise aux intégrales impropres, mais nécessite des précautions supplémentaires.

Théorème : Soient \( f, g : ]a, b[ \to \mathbb{R} \) deux fonctions de classe \( \mathcal{C}^1 \) telles que les limites \( \lim_{t \to a} f(t)g(t) \) et \( \lim_{t \to b} f(t)g(t) \) existent. Alors les intégrales \( \int_a^b f(t)g'(t) \, \mathrm{d}t \) et \( \int_a^b f'(t)g(t) \, \mathrm{d}t \) sont de même nature, et en cas de convergence : \[ \int_a^b f'(t)g(t) \, \mathrm{d}t = [f(t)g(t)]_a^b – \int_a^b f(t)g'(t) \, \mathrm{d}t \]

Changement de variable

Théorème : Soit \( f \) continue sur \( ]a, b[ \) et \( \varphi : ]\alpha, \beta[ \to ]a, b[ \) une bijection strictement croissante de classe \( \mathcal{C}^1 \). Les intégrales suivantes sont de même nature et, si elles convergent, elles sont égales : \[ \int_a^b f(t) \, \mathrm{d}t = \int_\alpha^\beta f(\varphi(u)) \varphi'(u) \, \mathrm{d}u \]

Mise en garde : Lors de l’utilisation de l’intégration par parties ou du changement de variable, on doit toujours travailler sur des segments \( [x, y] \) puis faire tendre \( x \) et \( y \) vers les bornes impropres. Ne jamais effectuer ces opérations directement sur l’intégrale impropre sans justification.

Exercices corrigés et applications

Exercice 1 : Étude d’une intégrale exponentielle

Énoncé : Étudier la convergence de l’intégrale suivante :

\[ I = \int_0^{+\infty} e^{-t^2} \, \mathrm{d}t \]

Solution :

La fonction \( t \mapsto e^{-t^2} \) est continue sur \( [0, +\infty[ \). Il y a deux impropriétés potentielles : en 0 et en \( +\infty \).

En 0 : La fonction est continue en 0 avec \( e^{0} = 1 \), donc il n’y a pas de problème en 0.

En \( +\infty \) : Par croissances comparées, pour tout \( \alpha > 0 \) :

\[ \lim_{t \to +\infty} t^\alpha e^{-t^2} = 0 \]

En particulier, pour \( \alpha = 2 \) :

\[ e^{-t^2} = o\left(\frac{1}{t^2}\right) \quad \text{quand } t \to +\infty \]

Puisque \( \int_1^{+\infty} \frac{\mathrm{d}t}{t^2} \) converge (intégrale de Riemann avec \( \alpha = 2 > 1 \)), par comparaison, l’intégrale \( I \) converge.

Exercice 2 : Intégrale avec racine carrée

Énoncé : Déterminer la nature de l’intégrale :

\[ J = \int_0^1 \frac{\mathrm{d}t}{\sqrt{t(1-t)}} \]

Solution :

La fonction présente deux impropriétés : en 0 et en 1. Il faut étudier les deux séparément en choisissant un point intermédiaire, par exemple \( c = \frac{1}{2} \).

Au voisinage de 0 :

\[ \frac{1}{\sqrt{t(1-t)}} \sim_0 \frac{1}{\sqrt{t}} = \frac{1}{t^{1/2}} \]

L’intégrale de Riemann \( \int_0^{1/2} \frac{\mathrm{d}t}{t^{1/2}} \) converge car \( \frac{1}{2} < 1 \). Donc \( J \) converge en 0.

Au voisinage de 1 : En posant \( u = 1 – t \) :

\[ \frac{1}{\sqrt{t(1-t)}} \sim_1 \frac{1}{\sqrt{1-t}} = \frac{1}{(1-t)^{1/2}} \]

De même, l’intégrale converge en 1. Par conséquent, \( J \) converge.

Exercice 3 : Intégrale trigonométrique

Énoncé : Montrer que l’intégrale suivante converge :

\[ K = \int_1^{+\infty} \frac{\sin t}{t^2} \, \mathrm{d}t \]

Solution :

Étudions d’abord la convergence absolue. Pour tout \( t \geq 1 \) :

\[ \left| \frac{\sin t}{t^2} \right| \leq \frac{1}{t^2} \]

Puisque \( \int_1^{+\infty} \frac{\mathrm{d}t}{t^2} \) converge, par comparaison, l’intégrale \( \int_1^{+\infty} \left| \frac{\sin t}{t^2} \right| \, \mathrm{d}t \) converge. Donc \( K \) est absolument convergente, et par conséquent convergente.

Pièges courants et erreurs à éviter

Erreur n°1 : Oublier d’identifier toutes les impropriétés

Avant d’étudier une intégrale, il est essentiel d’identifier précisément où se situent les problèmes : bornes infinies, points de discontinuité, valeurs où la fonction tend vers l’infini. Une intégrale peut avoir plusieurs impropriétés simultanées !

Erreur n°2 : Confondre les critères en 0 et à l’infini

Les conditions de convergence pour les intégrales de Riemann sont opposées en 0 et à l’infini. En \( +\infty \), il faut \( \alpha > 1 \) ; en 0, il faut \( \alpha < 1 \). Ne jamais les confondre !

Erreur n°3 : Comparer des intégrales au lieu de comparer des fonctions

Les théorèmes de comparaison s’appliquent aux fonctions intégrées, pas aux intégrales elles-mêmes. On écrit \( f(t) \leq g(t) \), et non \( \int f \leq \int g \) lorsqu’on applique un critère de comparaison.

Erreur n°4 : Appliquer l’équivalence sans vérifier le signe

Le théorème d’équivalence nécessite que la fonction de référence \( g \) garde un signe constant au voisinage de la borne. Sans cette condition, le théorème ne s’applique pas !

Conclusion et récapitulatif

Les intégrales généralisées étendent le cadre du calcul intégral à des situations où les méthodes classiques échouent. Pour maîtriser leur étude, retenez ces points essentiels :

D’abord, identifiez systématiquement les impropriétés et le domaine de continuité de la fonction. Ensuite, utilisez les intégrales de référence de Riemann comme bases de comparaison, en vous rappelant que les conditions diffèrent selon qu’on est en zéro ou à l’infini. Les théorèmes de comparaison constituent vos outils principaux pour les fonctions positives, tandis que la convergence absolue permet de traiter les fonctions de signe quelconque. Enfin, n’oubliez jamais que l’intégration par parties et le changement de variable nécessitent des précautions particulières dans ce contexte.

La pratique régulière d’exercices variés vous permettra de développer l’intuition nécessaire pour choisir la bonne méthode face à chaque intégrale. Les intégrales généralisées apparaissent naturellement en physique (énergie potentielle, transformées intégrales), en probabilités (lois continues) et constituent un pont vers la théorie de l’intégration de Lebesgue, plus puissante encore.

Questions fréquemment posées

Quelle est la différence entre intégrale généralisée et intégrale impropre ?

Il n’y a aucune différence : les termes « intégrale généralisée » et « intégrale impropre » sont parfaitement synonymes. Les deux désignent une intégrale dont au moins une borne est infinie ou dont la fonction présente une discontinuité. Le calcul s’effectue toujours par passage à la limite sur un segment borné.

Comment savoir si une intégrale généralisée converge ?

Pour déterminer si une intégrale converge, identifiez d’abord les impropriétés (bornes infinies ou discontinuités). Ensuite, utilisez les critères de Riemann pour comparer avec les intégrales de référence du type intégrale de un sur t puissance alpha. Si la fonction est positive, appliquez les théorèmes de comparaison ou d’équivalence. Pour les fonctions de signe quelconque, étudiez la convergence absolue en intégrant la valeur absolue.

Qu’est-ce que le critère de Riemann pour les intégrales généralisées ?

Le critère de Riemann concerne les intégrales de fonctions puissances. À l’infini, l’intégrale de un sur t puissance alpha converge si alpha est strictement supérieur à un. Au voisinage de zéro, cette même intégrale converge si alpha est strictement inférieur à un. Ces intégrales servent de références pour étudier par comparaison d’autres intégrales généralisées.

Qu’est-ce que la convergence absolue d’une intégrale ?

Une intégrale est absolument convergente si l’intégrale de la valeur absolue de la fonction converge. La convergence absolue implique la convergence simple, mais la réciproque est fausse. Une intégrale peut être convergente sans être absolument convergente ; on parle alors d’intégrale semi-convergente. L’intégrale de Dirichlet est un exemple classique d’intégrale semi-convergente.

Comment utiliser les théorèmes de comparaison ?

Les théorèmes de comparaison s’appliquent aux fonctions positives. Si votre fonction est majorée par une fonction dont l’intégrale converge, alors votre intégrale converge également. Si votre fonction minore une fonction dont l’intégrale diverge, alors votre intégrale diverge aussi. Le théorème d’équivalence permet de remplacer la fonction par un équivalent simple dont on connaît la nature de l’intégrale.

Peut-on faire une intégration par parties sur une intégrale généralisée ?

Oui, l’intégration par parties s’applique aux intégrales généralisées, mais avec précautions. Il faut d’abord travailler sur un segment borné, effectuer l’intégration par parties, puis passer à la limite. Le crochet entre les bornes doit avoir une limite finie aux bornes impropres. Sans ces conditions, la formule d’intégration par parties généralisée ne peut pas être appliquée.

intégrales généralisées - Représentation graphique de la convergence d'une intégrale impropre sur un intervalle infini
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