Imaginez que vous connaissiez la vitesse d’une voiture à chaque instant, mais que vous cherchiez à retrouver sa position. Ou que vous connaissiez le taux de croissance d’une population de bactéries, et que vous vouliez prédire leur nombre dans 10 heures. C’est exactement le rôle des équations différentielles.
Les équations différentielles sont essentielles pour comprendre les phénomènes physiques, biologiques et économiques. Dans ce guide pratique, vous maîtriserez : la résolution des équations homogènes, le calcul des solutions particulières, l’utilisation du polynôme caractéristique, et la résolution des problèmes de Cauchy avec conditions initiales.
Définition et Concepts Fondamentaux des Équations Différentielles
Qu’est-ce qu’une équation différentielle ?
Formellement, une équation différentielle ordinaire d’ordre \( n \) est une relation de la forme :
où \( y \) est la fonction inconnue que l’on cherche à déterminer, \( x \) est la variable indépendante, et \( y’, y^{\prime\prime}, \ldots, y^{(n)} \) désignent les dérivées successives de \( y \) par rapport à \( x \).
Ordre d’une équation différentielle
L’ordre d’une équation différentielle correspond au degré maximal de dérivation qui apparaît dans l’équation. Par exemple :
- Ordre 1 : \( y’ + 2y = 3x \) (contient seulement \( y’ \))
- Ordre 2 : \( y^{\prime\prime}- 5y’ + 6y = 0 \) (contient \( y^{\prime\prime} \))
Solution d’une équation différentielle
Une solution d’une équation différentielle sur un intervalle \( I \) est une fonction dérivable \( y(x) \) qui vérifie l’équation pour tout \( x \) appartenant à \( I \). Contrairement aux équations algébriques qui admettent généralement un nombre fini de solutions, une équation différentielle possède souvent une infinité de solutions formant une famille de fonctions.
Équation Différentielle Linéaire du Premier Ordre
Forme standard et vocabulaire
Une équation différentielle linéaire du premier ordre se présente sous la forme :
où \( a(x) \) et \( b(x) \) sont deux fonctions continues sur un intervalle \( I \). Cette équation est qualifiée de :
- Linéaire : car \( y \) et sa dérivée apparaissent à la puissance 1
- Premier ordre : car la dérivée la plus élevée est \( y’ \)
- Avec second membre : si \( b(x) \neq 0 \)
Équation homogène associée
L’équation homogène (ou sans second membre) associée à \( (E) \) est :
Théorème fondamental : Les solutions de l’équation homogène \( (E_0) \) sont toutes les fonctions de la forme :
où \( A(x) \) est une primitive de \( a(x) \) sur \( I \) et \( k \in \mathbb{R} \) est une constante arbitraire.
Démonstration
Montrons que \( y(x) = ke^{-A(x)} \) est solution de \( y’ + a(x)y = 0 \) :
y'(x) &= k \cdot (-A'(x)) \cdot e^{-A(x)} = -kA'(x)e^{-A(x)} \\
y'(x) + a(x)y(x) &= -kA'(x)e^{-A(x)} + a(x) \cdot ke^{-A(x)} \\
&= -ka(x)e^{-A(x)} + ka(x)e^{-A(x)} \quad \text{(car } A'(x) = a(x)\text{)} \\
&= 0
\end{align*} \]
Résolution de l’équation complète : méthode de variation de la constante
Pour résoudre l’équation complète \( y’ + a(x)y = b(x) \), on utilise la méthode de variation de la constante. On cherche une solution de la forme \( y(x) = k(x)e^{-A(x)} \) où \( k(x) \) n’est plus une constante mais une fonction à déterminer.
En substituant dans l’équation :
y'(x) &= k'(x)e^{-A(x)} – k(x)A'(x)e^{-A(x)} \\
y'(x) + a(x)y(x) &= b(x) \\
k'(x)e^{-A(x)} – k(x)a(x)e^{-A(x)} + a(x)k(x)e^{-A(x)} &= b(x) \\
k'(x)e^{-A(x)} &= b(x) \\
k'(x) &= b(x)e^{A(x)}
\end{align*} \]
Principe de superposition : La solution générale de l’équation complète s’écrit :
où \( y_{\text{particulière}} \) est une solution particulière de l’équation complète.
Équations Différentielles à Coefficients Constants
Cas du premier ordre : \( y’ = ay + b \)
Lorsque les coefficients sont des constantes, l’équation se simplifie considérablement. L’équation différentielle linéaire du premier ordre à coefficients constants s’écrit :
où \( a \) et \( b \) sont des constantes réelles avec \( a \neq 0 \).
Résolution
Étape 1 : Solutions de l’équation homogène \( y’ = ay \)
Avec \( A(x) = ax \), les solutions sont :
Étape 2 : Solution particulière constante
On cherche une solution constante \( y_p = k \). En substituant dans l’équation :
Solution générale :
Problème de Cauchy et condition initiale
Un problème de Cauchy consiste à trouver la solution unique satisfaisant une condition initiale \( y(x_0) = y_0 \). Cette condition permet de déterminer la valeur de la constante \( C \).
Exemple détaillé :
Résolvons \( y’ + 2y = 6 \) avec \( y(0) = 1 \).
\text{Forme standard :} &\quad y’ = -2y + 6 \\
\text{Solution générale :} &\quad y(x) = Ce^{-2x} + 3 \\
\text{Condition initiale :} &\quad y(0) = C + 3 = 1 \quad \Rightarrow \quad C = -2 \\
\text{Solution particulière :} &\quad \boxed{y(x) = -2e^{-2x} + 3}
\end{align*} \]
Équations Différentielles Linéaires du Second Ordre
Forme générale
Une équation différentielle linéaire du second ordre à coefficients constants a la forme :
où \( a, b, c \in \mathbb{R} \) avec \( a \neq 0 \), et \( d(x) \) est une fonction continue sur \( I \).
Équation caractéristique
Pour résoudre l’équation homogène \( ay^{\prime\prime} + by’ + cy = 0 \), on introduit le polynôme caractéristique :
Le discriminant \( \Delta = b^2 – 4ac \) détermine la nature des solutions.
Cas 1 : \( \Delta > 0 \) (deux racines réelles distinctes)
Si \( r_1 \) et \( r_2 \) sont les deux racines réelles, la solution générale est :
Exemple : \( y^{\prime\prime} – 3y’ + 2y = 0 \)
P(r) &= r^2 – 3r + 2 = 0 \\
\Delta &= 9 – 8 = 1 > 0 \\
r_1 &= 2, \quad r_2 = 1 \\
y(x) &= \lambda e^{2x} + \mu e^{x}
\end{align*} \]
Cas 2 : \( \Delta = 0 \) (racine double)
Si \( r_0 = -\frac{b}{2a} \) est la racine double, la solution générale est :
Cas 3 : \( \Delta < 0 \) (racines complexes conjuguées)
Si \( r = \alpha \pm i\omega \) sont les racines complexes conjuguées, avec :
La solution générale prend deux formes équivalentes :
\text{Forme 1 :} &\quad y(x) = e^{\alpha x}(\lambda \cos(\omega x) + \mu \sin(\omega x)) \\
\text{Forme 2 :} &\quad y(x) = Ae^{\alpha x}\sin(\omega x + \varphi)
\end{align*} \]
où \( A \) et \( \varphi \) sont déterminés par les conditions initiales.
Applications Physiques des Équations Différentielles
Circuit électrique RL : régime transitoire
Considérons un circuit série comportant une résistance \( R \), une bobine d’inductance \( L \), et un générateur de force électromotrice \( E \). D’après la loi des mailles, l’intensité \( i(t) \) vérifie :
Résolution :
\text{Forme standard :} &\quad i’ + \frac{R}{L}i = \frac{E}{L} \\
\text{Solution générale :} &\quad i(t) = Ce^{-\frac{R}{L}t} + \frac{E}{R} \\
\text{Condition initiale :} &\quad i(0) = C + \frac{E}{R} = 0 \quad \Rightarrow \quad C = -\frac{E}{R} \\
\text{Solution :} &\quad \boxed{i(t) = \frac{E}{R}\left(1 – e^{-\frac{R}{L}t}\right)}
\end{align*} \]
On définit la constante de temps \( \tau = \frac{L}{R} \). Le régime transitoire dure environ \( 5\tau \), après quoi le courant atteint sa valeur stationnaire \( \frac{E}{R} \).
Pendule simple : isochronisme des petites oscillations
Un pendule de longueur \( \ell \) écarté d’un angle \( \theta_0 \) de sa position d’équilibre obéit, pour de petites oscillations, à l’équation :
En posant \( \omega_0 = \sqrt{\frac{g}{\ell}} \), l’équation caractéristique donne \( r^2 + \omega_0^2 = 0 \), soit \( r = \pm i\omega_0 \).
\text{Solution générale :} &\quad \theta(t) = A\cos(\omega_0 t) + B\sin(\omega_0 t) \\
\text{Conditions initiales :} &\quad \theta(0) = A = \theta_0, \quad \theta'(0) = B\omega_0 = 0 \\
\text{Solution :} &\quad \boxed{\theta(t) = \theta_0\cos\left(\sqrt{\frac{g}{\ell}}t\right)}
\end{align*} \]
La période des oscillations est \( T = \frac{2\pi}{\omega_0} = 2\pi\sqrt{\frac{\ell}{g}} \). Remarquablement, cette période ne dépend pas de l’amplitude initiale \( \theta_0 \) (pour les petites oscillations) : c’est l’isochronisme des petites oscillations.
Décroissance radioactive
La désintégration d’un élément radioactif suit une loi de décroissance exponentielle. Si \( N(t) \) représente le nombre de noyaux radioactifs à l’instant \( t \), on a :
où \( \lambda \) est la constante de désintégration et \( N_0 = N(0) \) le nombre initial de noyaux. La demi-vie \( t_{1/2} = \frac{\ln 2}{\lambda} \) est le temps nécessaire pour que la moitié des noyaux se désintègrent.
Exercices Corrigés Pas à Pas
Exercice 1 : Équation du premier ordre
Énoncé : Résoudre sur \( \mathbb{R} \) l’équation \( 2y’ – 3y = 6x \) avec \( y(0) = 2 \).
Solution :
\text{Étape 1 : Forme standard} \quad &y’ – \frac{3}{2}y = 3x \\
\\
\text{Étape 2 : Équation homogène} \quad &y’ – \frac{3}{2}y = 0 \\
&y_h = Ce^{\frac{3}{2}x} \\
\\
\text{Étape 3 : Solution particulière} \quad &\text{On cherche } y_p = ax + b \\
&y_p’ = a \\
&a – \frac{3}{2}(ax + b) = 3x \\
&a – \frac{3}{2}ax – \frac{3}{2}b = 3x \\
\\
\text{Par identification :} \quad &-\frac{3}{2}a = 3 \quad \Rightarrow \quad a = -2 \\
&a – \frac{3}{2}b = 0 \quad \Rightarrow \quad b = \frac{2a}{3} = -\frac{4}{3} \\
&y_p = -2x – \frac{4}{3} \\
\\
\text{Étape 4 : Solution générale} \quad &y(x) = Ce^{\frac{3}{2}x} – 2x – \frac{4}{3} \\
\\
\text{Étape 5 : Condition initiale} \quad &y(0) = C – \frac{4}{3} = 2 \\
&C = 2 + \frac{4}{3} = \frac{10}{3} \\
\\
\text{Solution finale :} \quad &\boxed{y(x) = \frac{10}{3}e^{\frac{3}{2}x} – 2x – \frac{4}{3}}
\end{align*} \]
Exercice 2 : Équation du second ordre
Énoncé : Résoudre \( y^{\prime\prime} + 4y’ + 4y = 0 \) avec \( y(0) = 1 \) et \( y'(0) = 0 \).
Solution :
\text{Polynôme caractéristique :} \quad &r^2 + 4r + 4 = 0 \\
&(r + 2)^2 = 0 \\
&\Delta = 0, \quad r_0 = -2 \text{ (racine double)} \\
\\
\text{Solution générale :} \quad &y(x) = (\lambda + \mu x)e^{-2x} \\
\\
\text{Condition } y(0) = 1 : \quad &\lambda = 1 \\
\\
\text{Calculons } y'(x) : \quad &y'(x) = \mu e^{-2x} + (\lambda + \mu x)(-2)e^{-2x} \\
&y'(x) = \mu e^{-2x} – 2(\lambda + \mu x)e^{-2x} \\
&y'(x) = e^{-2x}[\mu – 2\lambda – 2\mu x] \\
\\
\text{Condition } y'(0) = 0 : \quad &\mu – 2\lambda = 0 \\
&\mu = 2\lambda = 2 \\
\\
\text{Solution finale :} \quad &\boxed{y(x) = (1 + 2x)e^{-2x}}
\end{align*} \]
Exercice 3 : Application à la physique
Énoncé : Un condensateur de capacité \( C = 10 \, \mu\text{F} \) se décharge à travers une résistance \( R = 1000 \, \Omega \). La tension initiale est \( U_0 = 12 \, \text{V} \). Déterminer la tension \( u(t) \) aux bornes du condensateur en fonction du temps.
Solution :
\text{Équation du circuit RC :} \quad &RC\frac{du}{dt} + u = 0 \\
&\frac{du}{dt} = -\frac{1}{RC}u \\
\\
\text{Solution générale :} \quad &u(t) = Ae^{-\frac{t}{RC}} \\
\\
\text{Constante de temps :} \quad &\tau = RC = 1000 \times 10 \times 10^{-6} = 0{,}01 \, \text{s} \\
\\
\text{Condition initiale :} \quad &u(0) = A = U_0 = 12 \, \text{V} \\
\\
\text{Solution finale :} \quad &\boxed{u(t) = 12e^{-\frac{t}{0{,}01}} = 12e^{-100t} \, \text{(V)}}
\end{align*} \]
Au bout d’un temps \( t = 5\tau = 0{,}05 \, \text{s} \), la tension est pratiquement nulle (environ 0,08 V).
Points clés à retenir
Les équations différentielles constituent un pilier fondamental des mathématiques appliquées et des sciences. Leur maîtrise ouvre la porte à la compréhension profonde de nombreux phénomènes naturels et technologiques.
- Une équation différentielle est une relation entre une fonction et ses dérivées
- L’ordre correspond au degré maximal de dérivation présent dans l’équation
- Pour les équations linéaires du premier ordre à coefficients constants : \( y(x) = Ce^{ax} – \frac{b}{a} \)
- Pour le second ordre, le discriminant du polynôme caractéristique détermine la forme des solutions
- Les applications physiques sont omniprésentes : circuits électriques, oscillations mécaniques, décroissance radioactive
- La méthode de variation de la constante permet de résoudre les équations avec second membre
- Les conditions initiales (problème de Cauchy) permettent de déterminer une solution unique
La pratique régulière d’exercices variés reste la meilleure méthode pour consolider votre compréhension. N’hésitez pas à explorer les nombreuses applications concrètes qui donnent tout leur sens à cet outil mathématique puissant.
Questions Fréquentes sur les Équations Différentielles
Quelle est la différence entre une équation différentielle et une équation algébrique ?
Dans une équation algébrique, l’inconnue est un nombre (comme \( x^2 + 3x – 2 = 0 \)). Dans une équation différentielle, l’inconnue est une fonction entière, et l’équation fait intervenir cette fonction ainsi que ses dérivées. Par exemple, \( y’ + 2y = 3 \) est une équation différentielle où l’on cherche la fonction \( y(x) \).
Pourquoi les équations différentielles sont-elles importantes en physique ?
Les équations différentielles permettent de modéliser des phénomènes où une grandeur varie en fonction du temps ou de l’espace. Les lois de la physique (Newton, Maxwell, Schrödinger) s’expriment naturellement sous forme d’équations différentielles car elles relient des quantités à leurs taux de variation instantanés.
Comment reconnaître une équation différentielle linéaire ?
Une équation différentielle est linéaire si la fonction inconnue \( y \) et toutes ses dérivées apparaissent à la puissance 1 uniquement, sans être multipliées entre elles. Par exemple, \( y’ + 2y = x \) est linéaire, mais \( y’ = y^2 \) ou \( yy’ = 1 \) ne le sont pas.
Qu’est-ce qu’une condition initiale et pourquoi est-elle importante ?
Une condition initiale spécifie la valeur de la fonction (et éventuellement de ses dérivées) en un point donné, par exemple \( y(0) = 3 \). Sans condition initiale, une équation différentielle possède une infinité de solutions. La condition initiale permet de sélectionner une solution unique parmi toutes ces possibilités, ce qui est essentiel dans les applications pratiques.
Quelle est la méthode la plus simple pour résoudre une équation différentielle du premier ordre ?
Pour une équation à coefficients constants de la forme \( y’ = ay + b \), utilisez directement la formule : \( y(x) = Ce^{ax} – \frac{b}{a} \), puis déterminez \( C \) avec la condition initiale. Pour des équations plus complexes, appliquez la méthode de variation de la constante en cherchant d’abord les solutions de l’équation homogène.
Comment interpréter physiquement le discriminant dans une équation du second ordre ?
Le discriminant détermine le type de comportement dynamique du système : \( \Delta > 0 \) correspond à un régime apériodique (pas d’oscillations), \( \Delta = 0 \) à un régime critique (retour le plus rapide à l’équilibre sans oscillation), et \( \Delta < 0 \) à un régime oscillatoire (amorti ou non selon le signe de la partie réelle).